En
cette veille d'été, Achille nous a donné rendez-vous au col de
Vizzavona pour un cours de Sylviculture. Nous passons donc la matinée
dans la hêtraie en sa compagnie.
![]() |
Plusieurs stades visibles : annuelles, vivaces épineuses et forêt |
En
introduction Achille rappelle que la forêt est le stade ''terminal''
de la végétation. Nous observons, sur une zone non boisée, un des
premiers stades de colonisation par la végétation : celui des
plantes annuelles. Cette zone du coté Nord de la route a une
végétation qui est maintenue basse par l'action de l'homme
(parking) et pâturage de quelques herbivores divagants.
Le stade
suivant correspond à l’apparition d’espèces vivaces qui
vont s’implanter au milieu des annuelles. On
voit aussi sur le site, un stade de fruticées, avec plusieurs
espèces épineuses, qui échapperont au pâturage et aux animaux
sauvages : Églantier (Rosa sempervirens), genêt... le
milieu se ferme lentement.
Le
stade suivant correspond à l'arrivée des arbres à graines légères,
disséminées par le vent, comme le pin ou, à graines plus lourdes,
transportées par les animaux (les glands par les geais par exemple).
Enfin,
le dernier stade : le milieu forestier, qui correspondra au
climax si les conditions climatiques et édaphiques (sols) le
permettent. Quand la forêt est vieillie, quand un arbre meurt et
tombe, il créé une trouée et le cycle reprend ; mais les
semis des arbres occuperont rapidement l’espace ouvert.
Les
résineux, notamment les pins, supportent des sols peu profonds voire
pauvres, au contraire du Hêtre, des Chênes et du Sapin. Les
forestiers ont l’habitude de classer les essences en « essences
d’ombre » et « essences de lumière » par rapport
à leur capacité de régénération. Par exemple les pins se
régénèrent bien en pleine lumière ; alors que le hêtre et
le sapin ont besoin d’un léger couvert pour bien se régénérer.
Toutefois, il n'en faut pas trop : l'ombre des hêtres adultes
nuit à leurs propres semis.
A
Vizzavona, à l'étage supraméditerranéen avec une forte influence
montagnarde, les espèces adaptées sont le Hêtre et le Pin laricio.
Ces deux espèces sont en effet présentes dans la forêt. Nous
sommes ici dans une forêt communale , gérée par l'ONF, elle relève
du régime forestier. En 1827, était créé le Code forestier, suite
à de graves problèmes d'érosion des montagnes entraînant des
catastrophes (Cévennes, Nimes, Alpes...). Il vise à contraindre les
communes à une gestion durable des forêts. L’administration des
eaux et forêt avait la charge de l'application de ce code, elle est
devenue l’ONF (Office national des forêts).
![]() |
Un taillis régulier de hêtre |
Pour
les feuillus, on distingue :
- la
Futaie : une tige où fût / du Taillis où plusieurs
troncs partent d'une même souche.
- le
traitement Régulier : tous les arbres ont le même âge / de
l’Irrégulier : plusieurs âges représentés.
La
hêtraie située au nord de la route est vielle et constitue un bon
réservoir de biodiversité (Chauves-souris). La hêtraie au Sud de
la route est plus jeune mais n’est pas dans son optimum
stationnelle. A l'abandon, elle a été coupée puis, est devenue une
forêt en taillis, qui sont montés très haut : les troncs sont
donc nombreux, assez étroits et tordus. En outre, au sol, il n'y a
rien (pas de semis), en raison de la densité du feuillage. Elle ne
pourra fournir que du bois de chauffage.
Avant
de songer à régénérer un peuplement, il faut étudier la station
pour y implanter une essence à la fois pertinente du point de vue
sylvicole et intéressante économiquement (le meilleur rendement).
Ce n'est pas parce qu'il y a déjà une essence que c'est la
''bonne'', notamment si elle a été favorisée par l'homme.
Pour
définir la station plusieurs possibilités :
-
une étude botanique du site (ici cela va être difficile car il y a
peu de plantes au sol),
-
une étude pédologique : sol plus ou moins profond.
Les horizons de la litière permettent de nommer l’humus, Ici, la
décomposition est assez lente, c'est un humus de type moder. Si
la décomposition de la matière organique est rapide l’humus est
un mull. Quand la décomposition est très lente et que la
matière organique s’accumule on a un humus de type mor.
![]() |
Mycelis muralis |
Coté
bota, il faut se fier aux plantes ''indicatrices'' qui nous
permettent de caractériser le milieu et ses potentialités et donc
de la valoriser au mieux (cf catalogue des stations de l'ONF de
Corse). Ici, le cortège floristique est surtout constitué par des
plantes de grande amplitude écologique, il y a peu de plantes
indiquant les changements de stations.
Quelques
plantes indicatrices :
- de
sol sec à très sec: disparition de la fougère aigle (Pteridium
aquilidium) , qui est une plante de grande amplitude.
- de
sol assez sec à assez frais : Pteridium aquilidium,
Fraisier (Fragaria vesca), Geranium rotundifolium,
Gaillet croisette (Cruciata laevipes), Luzules de Forster
(Luzula forsteri) et du Piémont (L. pedemontana),
Festuca heterophylla.
- de
sol frais : La laitue des murailles (Lactuca muralis /ex= Mycelis muralis), Sanicle d'Europe (Sanicula
europaea), Melica uniflora, le Houx, Renoncule
laineuse (Ranunculus lanuginosus),
Ici, le milieu est frais, le hêtre est donc à sa
place. En outre, la pente est faible, ce qui lui permettra de croître
en station favorable. Alors qu'en face, au nord, le hêtre est dépérissant, montrant qu'il n'est probablement pas à son optimum ; le pin laricio serait plus adapté.
![]() |
Achille, notre guide dans la hêtraie |
Le
hêtre doit être éclaircit rapidement dès qu’il atteint 8 à 12
m de hauteur. On choisi les plus belles tiges (désignation) et on
abaisse leur densité. Il faut au moins 3mm de largeur sur le cerne
annuel (rayon) sinon le bois est ''nerveux'' et ne peut convenir aux
usages nobles. En terrain acide, le cœur du hêtre peut être rouge,
ce qui est considéré comme un petit défaut. Un beau bois de hêtre
(au moins 6 m de tige droite sans nœud) avec des cernes larges et
réguliers peut être vendu 100 euros le m3 pour des meubles ou du
placage. Un élagage artificiel permettra d'éviter les nœuds sur
les arbres désignés.
Après
l'essence, le sylviculteur doit choisir un âge d'exploitabilité, et
adapter le traitement pour atteindre ses objectifs (par exemple 60 cm
de diamètre, à 80 -120 ans selon la richesse du sol). Plus il y a
d'individus, plus les hêtres monteront à la recherche de la lumière
et grossiront peu : il faut donc aussi effectuer des éclaircies
régulières, qui ont un coût. A la fin de l’exploitation, il y
aura 70 à 80 tiges par hectare. La sylviculture du hêtre est très
exigeante, c’est elle qui donne sa qualité aux bois produits et
les erreurs sont difficiles à rattraper. Ici
par exemple, seule l'utilisation du bois pour le chauffage est
envisageable. Dans certains secteurs, un rattrapage est envisageable
en éclaircissant les jeunes futaies ou les taillis. Les arbres ne
doivent pas dépasser un rapport hauteur /diamètre de 100 à 110
sous peine de constituer un peuplement fragile où on ne peut plus
intervenir en coupe.
Nous passons alors dans l'Allée des tilleuls (Tillia cordata), plantée le long de l'ancienne route nationale. Sur leur tronc, le lichen Lobaria pulmonaria, signe que même en bordure de route nationale, l'air est encore pur !
![]() |
Parquet de régénération |
Achille
nous présente ensuite un exemple de ''parquet'' de régénération :
ici, une coupe rase a été réalisée suivi d'une plantation, car il
n'y avait pas de semencier autour, en 1990. Aujourd'hui, on observe
des ''gaulis'' (jeunes arbres donc le tronc tien dans une main), qui
deviendront ensuite des ''perchis''. Il
faudra ensuite éclaircir, c'est à dire enlever les arbres les moins
beaux, pour avoir du hêtre de qualité. Attention toutefois à ne
pas trop éclaircir, car la lumière ferait repartir les gourmands (→
nœuds), qu'il faudra ensuite élaguer (coût).
Plus
loin, une futaie claire, où il y a eu une coupe de régénération.
Ces travaux sont prévus par un plan forestier d'aménagement proposé
par l'ONF à la commune, visant à atteindre les objectifs fixée par
elle. Ce plan de gestion couvre 20 années en précisant les dates
des travaux à venir et les crédits d'entretien forestier à
prévoir. Le
sol est toujours limoneux et parmi les plantes indicatrices de milieu
frais, notons, le gaillet à feuilles rondes (Galium
rotundifolium), une Epervière (Hieracium sp.), le fraisier
(Fragaria vesca), Mycelis muralis et la Fétuque hétérophylle
(Festuca heterophylla) reconnaissable à son toucher rapeux.
La
pluie arrivée pour le déjeuner nous a empêché de traiter du Pin
laricio l'après midi, mais nous y reviendrons à l'occasion de la
sortie à Aïtone en août ! Merci à Bernadette de nous avoir abritée...
Le diaporama de la journée :
Enfin,
Bravo à Sandra, qui a découvert un nouveau lichen (toxique et
mortel en cas d’ingestion) pour la Corse : Letharia
vulpina, sur un pin laricio, il est reconnaissable à sa couleur particulière.
Prochaine
sortie Forêt à Aïtone, le 2 août 2015
A très bientôt !